Le narratif chinois en Afrique a longtemps été axé sur le respect de la souveraineté nationale et l’absence d’ingérence dans les affaires intérieures des États africains. Dans son analyse détaillée, M. Nantulya, (chercheur au Centre d’études stratégiques de l’Afrique, CESA) documente de manière inquiétante les efforts croissants de Pékin pour former, influencer et même créer de toutes pièces de véritables partis politiques dans de nombreux pays du continent. Un constat accablant qui contredit frontalement la rhétorique chinoise martelée jusqu’ici.
La Chine, que l’on présentait jusqu’alors comme un pays non-interventionniste – contrairement aux pays occidentaux – s’immisce insidieusement dans la politique africaine, en formant les élites à sa vision du monde. Une stratégie qui s’inscrit dans une politique de long terme de prédation du continent. Car au-delà des investissements économiques massifs, Pékin cherche ainsi à exercer un contrôle politique, visant à s’assurer des complicités au sein même des institutions gouvernementales dans les années à venir.
Remodeler les normes de gouvernance
Selon l’expert en politique étrangère de la Chine et relations sino-africaines, M. Nantulya, la Chine a intensifié ses efforts pour former les partis politiques africains, notamment par le biais de l’Institut Chine-Afrique, initiative continentale du Parti communiste chinois (PCC) pour la formation des dirigeants et de gouvernements africains. Depuis les années 2000, des milliers de cadres de partis africains ont été invités à des séminaires en Chine, où ils sont formés aux méthodes de gouvernance et de gestion du PCC. Ces formations couvrent divers aspects, allant de la gestion économique à la propagande politique, en passant par la sécurité intérieure.
Le PCC aurait ainsi réalisé 881 échanges entre 2000 et 2022, aussi bien avec les partis au pouvoir que ceux de l’opposition. L’objectif déclaré de ces formations est de partager les « meilleures pratiques » du PCC en matière de gouvernance et de développement. Cependant, cette initiative soulève des questions sur les véritables intentions de Pékin. Est-ce une simple coopération sud-sud, ou une tentative subtile de modeler les systèmes politiques africains à l’image du régime autoritaire chinois ?
Un double discours éhonté
« Le principe de non-ingérence dans les autres pays est un argument omniprésent du gouvernement chinois. Cela inclut les questions de gouvernance pour lesquelles la Chine affirme depuis longtemps qu’elle n’exporte pas son modèle et qu’elle n’encourage pas les pays étrangers à imiter ses pratiques. », dénonce M. Nantulya, qui pointe un double discours éhonté de la part des autorités chinoises.
La Chine a toujours prôné une politique de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, se posant en contraste avec les interventions souvent critiquées des puissances occidentales. Cependant, la formation des partis politiques africains par le PCC semble contredire ce principe. En influençant directement les structures et les stratégies des partis politiques, la Chine s’immisce de manière significative dans la politique interne des pays africains.
Concrètement, le parti au pouvoir à Pékin a formé des milliers de membres et de responsables de partis politiques africains ces dernières années, dans le cadre d’une multitude de programmes bien rodés. Depuis les années 2000, le PCC maintient des relations étroites avec 110 partis africains, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, ainsi qu’avec 35 parlements et 59 organisations à vocation politique.
L’ingérence chinoise est subtile et se fait sous le couvert de l’éducation et de la formation. Les partis politiques africains, en quête de compétences et de connaissances, sont attirés par ces formations sans se rendre compte qu’ils pourraient être manipulés pour servir les intérêts de la Chine. En effet, la Chine utilise ces formations pour promouvoir son modèle de développement et renforcer son influence en Afrique.
Une menace pour la souveraineté africaine
M. Nantulya souligne que cette stratégie vise à créer des élites politiques africaines favorables aux intérêts chinois. En formant les futurs dirigeants africains, Pékin s’assure une influence durable sur les décisions politiques et économiques des pays africains. Cette approche rappelle les pratiques des anciennes puissances coloniales, qui formaient les élites locales pour mieux contrôler leurs colonies ; ce qui est préoccupant dans un contexte où de nombreux pays africains luttent encore pour se libérer des conséquences du colonialisme.
Les formations politiques offertes par la Chine ne sont pas simplement techniques ; elles véhiculent également une idéologie. En promouvant le modèle de gouvernance autoritaire du PCC, Pékin pourrait encourager des tendances autocratiques en Afrique, au détriment des aspirations démocratiques des populations africaines, comme semble l’indiquer les sondages de l’Afrobarometer. Cette situation est d’autant plus alarmante que la Chine utilise également d’autres leviers d’influence, tels que les prêts et les investissements, pour consolider son emprise sur le continent.
Ne pas troquer une forme de domination contre une autre
Face à cette ingérence déguisée, il est crucial que les pays africains adoptent une posture de vigilance. La coopération avec la Chine ne doit pas se faire au détriment de la souveraineté et de l’indépendance politique. Les dirigeants africains doivent être conscients des risques associés à l’influence chinoise et veiller à ce que les formations politiques ne se transforment pas en instruments de contrôle.
Il est également essentiel de diversifier les partenariats internationaux pour éviter une dépendance excessive à l’égard de la Chine. Les pays africains doivent renforcer leurs institutions politiques et promouvoir des modèles de gouvernance qui reflètent les aspirations de leurs populations, plutôt que de se laisser modeler par des puissances étrangères, qu’elles soient occidentales et/ou orientales.
L’Afrique ne doit pas troquer une forme de domination contre une autre. Nous nous sommes libérés du joug des puissances coloniales, nous ne saurions désormais nous soumettre à un nouveau maître en la personne de la Chine ou de tout autre pays ayant des velléités de nous soumettre. Car s’il ne fait aucun doute que le développement économique apporté par la Chine représente des opportunités pour le continent, cette coopération ne doit pas se faire au prix de la liberté et de la dignité des peuples africains. Le néo-colonialisme, quelle qu’en soit la forme, doit être combattu avec la dernière énergie.