SADAT ou l’expansion turque au Sahel : Un nouveau Wagner ?

La prédation a horreur du vide… La Fondation Maarif, bras culturel d’Ankara, s’implante dans nos écoles pour formater les esprits de demain. Les accords commerciaux, souvent à sens unique, ouvrent les portes de nos marchés aux entreprises turques. Et SADAT, cette nébuleuse militaro-sécuritaire aux mains du pouvoir turque, étend son emprise sur notre territoire… L’Histoire l’a prouvé : aucune puissance étrangère ne s’implique en Afrique sans arrière-pensée. Appâtée par la place laissée vide suite au départ de Wagner, la Turquie, via SADAT, investit le Sahel, avec une influence militaire, économique et politique croissante.

« L’Afrique aux Africains », entend-on depuis la fin de l’oppression coloniale. Pourtant aujourd’hui, le Sahel est plus que jamais le théâtre d’une guerre d’influence féroce entre puissances étrangères pour la domination du continent. Alors que les anciennes puissances coloniales tentent de maintenir leur emprise, de nouveaux acteurs s’invitent dans le grand jeu géopolitique. Parmi eux, la Turquie. Elle avance masquée sous couvert de partenariats économiques et militaires, mais ses méthodes évoquent de manière frappante les stratégies impérialistes du passé. 

Au cœur de cette offensive, un nom revient avec insistance : SADAT, une société militaire privée turque, qui agit comme le bras armé d’Ankara dans la région.

Une stratégie d’emprise totale

La Turquie ne se contente pas d’investir dans l’économie sahélienne. Elle déploie une stratégie d’influence globale, combinant diplomatie, culture, commerce et puissance militaire. Son objectif ?  Devenir un acteur incontournable dans une région fragilisée pour en exploiter ses ressources stratégiques et prendre l’ascendant sur les autres puissances. 

Comme toute puissance prédatrice, Ankara sait que l’idéologie et l’éducation sont des armes redoutables. Sous le contrôle direct du gouvernement turc, la Fondation Maarif s’implante depuis sa création en 2016 dans plusieurs pays africains, avec pour mission de former les futures élites locales… sur  le modèle d’Ankara. Elle est désormais présente dans plus de 30 pays africains, notamment au Mali (2017), au Niger, au Tchad, en Somalie… En s’implantant dans des pays comme le Niger, le Mali et le Tchad, où la présence russe est forte militairement, la Turquie propose un modèle alternatif combinant influence culturelle et économique. Une stratégie qui n’est pas sans rappeler les Instituts Confucius chinois destinés à remodeler les mentalités en faveur de leur donneur d’ordre.

Côté coopération économique, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 35 milliards de dollars d’échanges commerciaux entre la Turquie et l’Afrique, 7 milliards d’investissements directs, des contrats miniers juteux au Niger, et des projets d’infrastructure reliant le Maghreb à l’Afrique de l’Ouest. Mais une coopération économique qui est largement à la faveur de la Turquie, avec un écart significatif entre les exportations turques vers l’Afrique et les importations en provenance du continent. En 2020, les exportations turques ont atteint 29,4 milliards de dollars, contre seulement 8,3 milliards d’importations africaines en 2021.

Mais cette expansion économique ne se fait pas sans contrepartie : les entreprises turques s’assurent un accès privilégié aux ressources africaines, perpétuant une logique d’accaparement similaire à celles de la Chine et de la Russie. En effet, dans un contexte de tensions croissantes avec les États-Unis et l’Europe, la Turquie voit dans le marché africain une opportunité stratégique. Ce dernier offre de nombreuses perspectives pour ses PME, notamment dans le secteur manufacturier, ainsi que pour le développement de son industrie de défense. A cet égard, des entreprises comme Baykar, Turkish Aerospace Industries (TAI) et Aselsan sont au cœur de cette stratégie d’expansion.

Sur le plan militaire, la Turquie est devenue un fournisseur d’armes incontournable pour le Sahel. En témoigne la prolifération des drones Bayraktar TB2 (Mali, Niger, Togo, Burkina Faso), des formations militaires dispensées par la CANIK Academy, et des livraisons d’équipements stratégiques comme les avions Hürkuş et les drones Anka et Aksungur au Tchad.

Mais derrière ces transactions officielles se cache une réalité plus inquiétante : à quoi joue la Turquie avec son pion SADAT ?

SADAT : un « Wagner » turc au service des intérêts d'Ankara ?

Fondée en 2012 par l’ex-général turc Adnan Tanrıverdi, SADAT se présente comme une société de conseil et de formation militaire au service des pays musulmans. Une façade bien commode pour masquer son rôle de milice privée servant les intérêts stratégiques d’Ankara. 

Une milice sous contrôle du pouvoir turc

Les liens entre la SMP et l’Etat turc sont bien documentés. Son fondateur, ancien conseiller militaire d’Erdogan, a maintenu des connexions étroites avec le pouvoir. De plus, plusieurs sources confirment sa collaboration avec l’agence de renseignement turque MIT.

La conquête de l’Afrique de l’Ouest

SADAT est active dans plusieurs pays sahéliens : Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Libye et Somalie. Son modus operandi ? Officiellement, elle forme les armées locales. Officieusement, elle déploie des mercenaires syriens et protège les intérêts miniers turcs.

Des témoignages, comme celui d’un mercenaire syrien sous le pseudonyme d’Omar, révèlent les coulisses de ce système. Payé 1 500 dollars par mois, il a été transporté par avion militaire turc vers le Burkina Faso, avant d’être acheminé au Niger. Ces mercenaires sont censés garder des sites miniers ou pétroliers, mais se retrouvent souvent impliqués dans des combats contre les groupes djihadistes.

L’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH) a rapporté qu’au moins neuf combattants syriens ont été tués au Niger, confirmant l’implication directe de SADAT dans les conflits locaux. Au Mali, la SMP aurait formé des forces de sécurité privées pour protéger le chef du gouvernement de transition, Assimi Goïta. 

CANIK Academy : la formation militaire turque au Sahel

Outre SADAT, la Turquie s’appuie sur la CANIK Academy. Filiale du groupe SYS, ses activités soutiennent les politiques d’exportations d’armement turques. La CANIK Academy est spécialisée dans la formation militaire, en particulier sur l’utilisation et la maintenance d’armements modernes. Depuis novembre 2024, elle entraîne les FAMa (forces armées maliennes), dans le but de renforcer leur capacité opérationnelle et leur dépendance vis-à-vis d’Ankara. 

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Vers une reconfiguration des rapports de force au Sahel ?

L’arrivée massive de mercenaires syriens et les liens troubles de SADAT soulèvent des interrogations majeures sur les véritables intentions d’Ankara et les risques qui pèsent sur la stabilité régionale.

Au Niger, après l’échec des négociations avec l’Allemagne pour maintenir ses forces, une délégation turque de haut niveau s’est rendue à Niamey, marquant une volonté claire de prendre la place des puissances autrefois présentes.

 

Vers une rivalité SADAT / Wagner ?

Si SADAT et Wagner partagent une logique d’influence militaire et économique, leurs approches diffèrent. Là où Wagner joue la carte du Retour de la grande Russie, SADAT mise, elle, sur une stratégie panislamique, en lien étroit avec le projet politique et religieux de l’ASSAM (Association of Justice Defenders Strategic Studies Center). Fondée par des proches du pouvoir turc, ASSAM vise à promouvoir une union politique et militaire des nations islamiques, en élaborant des stratégies de défense et de gouvernance basées sur les principes de la charia. Cet agenda séduit certaines élites locales en quête de nouveaux partenaires, notamment dans des Etats où l’Islam politique gagne en influence, renforçant ainsi l’ancrage turc en Afrique à travers un soft power idéologique et sécuritaire.

L’arrivée de SADAT au Sahel constitue un défi stratégique pour Moscou. La présence turque menace l’hégémonie russe sur les marchés sécuritaires et économiques de la région, ouvrant la voie à des tensions entre forces pro-russes et pro-turques. Cette rivalité s’illustre particulièrement dans le secteur minier, où entreprises russes et turques s’affrontent pout le contrôle des ressources naturelles. L’exemple du Burkina Faso est le plus frappant : le retrait des permis d’exploitation de la société turque Afro Turk pour les mines d’or d’Inata et de manganèse de Tambao suggère une possible manœuvre d’éviction orchestrée par Moscou afin de favoriser des investisseurs russes.

Etonnamment, cette concurrence ne les empêche pas de coopérer ponctuellement. Au Niger, des mercenaires syriens employés par SADAT ont combattu aux côtés d’Africa Corps, et non avec Wagner), malgré la rivalité géopolitique entre Ankara et Moscou. Aux côtés de l’Africa Corps, peut-être. Mais pas avec Wagner, qui, suite à l’arrivée de la SMP turque en Afrique, a orchestré une campagne de désinformation ciblant SADAT, témoignant d’un jeu d’influence sournois où la Russie semble vouloir affaiblir la position turque. Dans ce contexte, au-delà de simples intérêts commerciaux, c’est une lutte pour l’influence régionale qui se joue, avec des répercussions potentielles sur l’équilibre des pouvoirs au Sahel.

Face à cette situation, une question demeure : jusqu’où la Turquie ira-t-elle pour promouvoir ses intérêts ?

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