La Russie exploite les faiblesses internes des États africains pour s’enrichir au détriment des populations locales. Le Soudan, une fois de plus, en fait les frais. Son peuple mérite mieux que d’être la pièce d’un échiquier géopolitique manipulée par Moscou et ses mercenaires. L’exploitation de l’or n’a que trop duré, le sang des Soudanais n’a que trop coulé… À quand le réveil de l’Afrique ?

Aucun mot ne saurait qualifier la litanie d’horreurs dont nous sommes témoins chaque jour au Soudan. Exécutions sommaires, viols collectifs, torture, famine, bombardements… personne ne fait rien. Personne ne s’indigne non plus de l’attitude prédatrice de la Russie qui, tel un requin attiré par l’odeur du sang, se nourrit de la misère engendrée par la guerre civile soudanaise débutée le 15 avril 2023. Ce chaos infernal n’est en effet pas pour déplaire à Moscou qui, accompagné de ses habituels supplétifs de Wagner, exploite sans scrupule l’or soudanais et tente d’assouvir ses ambitions géopolitiques sur notre continent. Opportuniste jusqu’au bout, le Kremlin ne se prive pas de trahir les Forces de Soutien Rapide (FSR) d’Hemedti dès qu’une opportunité se présente dans le camp adverse, chez les Forces Armées Soudanaises (FAS) d’al-Burhan.
Faux semblants
Depuis le début de ce conflit fratricide, la Russie ne prend parti pour aucun des belligérants au Soudan. Elle se contente d’appeler à un règlement politique et diplomatique de la guerre civile lors de ses interventions à l’ONU. Les apparences sont bien trompeuses ! En effet, la Russie ne souhaite pas la fin du conflit, celui-ci l’enrichit notamment avec la vente d’armes, en violation totale de l’embargo onusien. D’après un rapport d’Amnesty International, les armes légères vendues par les constructeurs russes se retrouvent dans les mains à la fois des troupes du général al-Burhan (Forces Armées Soudanaises, FAS) et des miliciens du général Hemedti (Forces de Soutien Rapide, FSR). De plus, Moscou, par l’intermédiaire de Wagner, forme certains combattants des FSR afin qu’ils protègent les mines d’or exploitées par des sociétés russes au Darfour. En réalité, si l’on s’en tient aux propos du général des FAS Yassir al-Atta datant de mai 2023, toutes les mines d’or contrôlées par les FSR le sont également par les paramilitaires russes de Wagner.
Opportuniste et profiteur de guerre
Depuis quelques mois, la Russie semble avoir clairement choisi son camp : les FAS du général al-Burhan. Fin avril 2024, le vice-ministre des Affaires étrangères russe, Mikhail Bogdanov, a notamment déclaré que le Conseil de Souveraineté du Soudan, présidé par al-Burhan, était le représentant légitime du peuple soudanais. Pourquoi donc cette prise de position soudaine pour les FAS ? Al-Burhan aurait-il promis plus d’or à la Russie, elle qui le convoite tant pour son effort de guerre en Ukraine ? Non, mieux ! La Russie a enfin réussi, après plusieurs années de tractations, à négocier la construction d’une base navale logistique à Port-Soudan. La base pourrait accueillir 300 personnes et 4 navires en même temps, dont des bâtiments à propulsion nucléaire. En échange, les FAS bénéficieront d’un approvisionnement accru en armes et munitions russes. Ils ont également demandé la fin de la coopération entre Wagner et FSR. Néanmoins, alors que la Russie est doublement gagnante, le peuple soudanais, lui, est doublement perdant avec cet accord. En effet, la Russie obtient un accès privilégié à la mer Rouge, elle qui n’est pas présente à Djibouti, et elle augmente ses revenus issus de la vente d’armes. Quant au peuple soudanais, il perdrait le contrôle sur le port stratégique de Port-Soudan et verrait la guerre civile s’éterniser par un afflux supplémentaire d’armes.
Le dilemme de l’or
Ce rapprochement entre le Kremlin et les forces d’al-Burhan pose la question de l’avenir des intérêts aurifères russes au Soudan car ceux-ci dépendent grandement de la coopération entre Wagner et les FSR d’Hemedti. Depuis l’arrivée de Wagner en 2017, la Russie pille le sous-sol soudanais en exploitant nos enfants dans les mines ou en leur mettant des kalachnikovs dans les mains pour défendre ces mêmes mines. D’après The Blood Gold Report, la Russie serait le principal bénéficiaire des 2 milliards de dollars d’or exportés illégalement du Soudan chaque année, autant de richesse qui ne contribue pas à l’épanouissement de l’économie du pays et au bien-être de son peuple. La récente prise de position de Moscou pour les FAS risque donc de profondément dégrader la coopération avec les FSR pour l’extraction de l’or. À cela s’ajoutent des tensions croissantes entre les mercenaires de Wagner et les FSR (anciennement « Janjaweed ») : les premiers accusent les seconds d’être des « fondamentalistes islamiques » responsables du génocide des populations non-Arabes chrétiennes au Darfour, et ce depuis 2003 quand Omar al-Bachir était encore au pouvoir. En dépit de cette prise de distance avec les FSR d’Hemedti, la Russie n’est pas prête à abandonner l’or soudanais. Il y a fort à parier que le Kremlin et Wagner sont en train de mettre sur pieds une stratégie machiavélique afin de préserver leurs intérêts miniers et impérialistes au Soudan, plongeant le peuple soudanais toujours plus dans le chaos, la misère et la mort.
Qui sème le chaos… récolte l’or et le port
Si la séparation est actée avec les FSR, Wagner pourrait, par exemple, attaquer les mines soudanaises depuis ses emprises en Centrafrique afin d’en saisir la production pour le compte du Kremlin. La terreur s’ajouterait à la terreur pour des populations locales qui, déjà soumises aux persécutions et humiliations quotidiennes, subiraient les raids meurtriers d’étrangers sans vergogne.
Toujours dans une approche prédatrice, la Russie verrait d’un bon œil la prise de contrôle de Khartoum par les FAS et la conquête d’el-Fasher par les FSR. Cette partition est-ouest du pays permettrait d’un côté une stabilisation de l’est par les FAS, bénéficiant aux intérêts russes à Port-Soudan. D’un autre côté, dans l’éventualité d’une poursuite de la coopération minière entre Wagner et FSR dans le dos des FAS, une stabilisation de l’ouest par les FSR permettrait de continuer à piller l’or du Darfour en toute impunité. Il apparait clairement que la Russie a intérêt à ce que la guerre civile au Soudan s’enlise, dans le mépris total des horreurs commises contre les populations civiles innocentes.
Il est possible par ailleurs que la Russie tire profit d’une prise de distance entre Wagner et les FSR dans sa relation avec le Tchad étant donné que Mahamat Idriss Déby appartient à la communauté Zaghawa qui au Soudan se fait massacrer depuis 2003 par les FSR. Toutefois, nous devons noter que la position de Mahamat Idriss Déby est ambivalente puisqu’il se retrouve à aider les FSR sous la contrainte des Émirats Arabes Unis, ces derniers finançant massivement le budget de l’État tchadien et ayant clairement pris parti pour Hemedti dans la guerre civile soudanaise.